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jeudi 24 mars 2011

Témoignage.

LE PENDU

On était en mille neuf cent cinquante trois ou quatre, je ne sais plus très bien. En tous cas, c'était dans les années cinquante, pendant le sacro-saint bal du dimanche soir au dancing municipal de Varilhes, où pratiquement toute la jeunesse du canton se rendait. C'était un dimanche comme les autres. Tout le monde était content, la Varilhoise dans l'après-midi avait gagné, plus rien ne pouvait arriver.

Les filles étaient belles, leurs formes ressortaient dans leurs jupes moulantes à la mode. Les garçons, eux, avaient revêtu leur costume du dimanche. Tout ce monde était assis sur les chaises métalliques autour de tables rondes ou rectangulaires, que l'on avait dépliées. On buvait panachés et diabolos, la bouche engravillonnée de cacahuètes, jugeant, en les regardant évoluer, la mise des filles déjà sur la piste.

Ce bal était animé par plusieurs musiciens installés sur une estrade en coin. Par instants, un l’un d’eux s'approchait du micro pour entonner une chanson à la mode, et la voix nasillarde était restituée tant bien que mal, par les deux haut-parleurs fixés au plafond dans deux coins de la pièce. Le “dancing” était né après la libération comme tant d'autres en France pour laisser éclater la joie de cette liberté retrouvée après les jours sombres de l'occupation.

Le bal battait son plein. C'était minuit passé, l'orchestre venait d'entamer sa série de paso-doble, lançant toute cette jeunesse dans une sorte de farandole endiablée, où même les moins hardis se risquaient avec enthousiasme.

D'abord, ce fut une rumeur, puis une plus grande agitation s'empara de quelques-uns du côté de la porte qui donnait dans le hall d'entrée où se trouvait la cage d'escalier. Ensuite ce furent des cris, de filles surtout ! On en voyait revenir en pleurs dans la salle, apeurées, se cachant le visage dans les mains. Il s'ensuivit une grande cohue, tous se ruant vers l'endroit d'où venait ce remue-ménage pour enfin voir ce qu'il se passait. Les musiciens comprenant qu'il y avait quelque chose d’extraordinaire avaient arrêté de jouer.

On venait de découvrir un pendu dans la cage d'escalier !

L'éclairage un peu blafard empêchait de voir à qui appartenait ce corps d'homme qui se balançait au bout de cette corde accrochée à la rampe du deuxième étage. Qui avait pu mettre fin à ses jours un tel soir de liesse ? Qui ? Il fallut monter au premier, juste à hauteur du corps, pour distinguer les traits de l'infortuné. Stupéfaction !

« - C’est Jojo, s’écria le téméraire qui s’était risqué à s’approcher du pendu !

C’était Jojo, le boute-en-train du village, ce garçon serviable et souriant, estimé de tous !

Il s'était montré au début du bal, venant piquer une cacahuète par-ci, par-là.

« - Tu viens danser, Jojo ? Il n'avait rien répondu, nous souriant, les yeux presque fermés à l'esquimaude, qui lui donnaient un air si malicieux !

Et voilà que cette foule qui avait rejoint le hall et envahi l'escalier, regardait ce corps se balançant légèrement, la tête penchée sur le côté, la bouche un peu entrouverte, tirant légèrement la langue. Les yeux grands ouverts, révulsés, ajoutaient à ce tableau l'horreur qui atteignait son paroxysme. La foule pendant un moment muette, silencieuse, choquée par l'événement, devenait peu à peu plus volubile. Certains se répandaient en paroles, voulant trouver à tout prix une explication au suicide du malheureux. On lisait sur le visage de quelques-uns une pâle frayeur, sur d'autres la stupeur, d'autres encore avec un peu de panique lançaient quelques "mon Dieu ! mon Dieu !"

Les langues commencèrent à se délier.

« - Oui, il faisait sans cesse le clown mais il était sans doute malheureux, dit quelqu’un. On dit que les clowns sont plus malheureux que les autres hommes quand ils retirent leur faux nez ! Peut-être une déception amoureuse ?

- Je l'ai croisé hier, dit une jeune fille. Maintenant que j'y pense, c'est vrai qu'il avait un drôle d'air, même que ça m'a frappée ! J'ai vu sur sa figure les traits de la mort ! Oui ! C'est ça, les traits de la mort ! Ah ! si je m'étais doutée ! »

Ainsi, les dialogues s'instauraient entre les badauds ; chacun donnait sa version. La tristesse d'avoir perdu un ami gagnait maintenant les gens présents.

« - Il faut le dépendre, putain ! dit quelqu'un amené là par la nouvelle qui s'était propagée dans le village. »

On eut l'idée d'aller chercher "Rubiasol" pour voir s'il n'y avait plus rien à faire. (Rubiasol était notre vieux docteur, baptisé ainsi, parce qu’il avait l'habitude d'administrer à tous ses patients ce remède miracle)

On n'en fit rien.

« - Avant de le dépendre il faut aller chercher les gendarmes, dit, dans sa sagesse, un homme âgé qu’on avait tiré de son lit.

- Qu'y a-t-il par terre ? Est-ce de l’eau fit remarquer Emile ?

- Ce n'est pas de l'eau, dit d'un air entendu l’un des musiciens, il a pissé, tous les pendus pissent.

Il avait l'air de savoir de quoi il parlait. Tout le monde regarda cet homme, à la fois, avec effarement et respect. Il devait en avoir vu beaucoup, lui, des pendus.

La nouvelle s'était répandue dans le village. A cette heure de la soirée les bistrots regorgeaient de monde le dimanche et la nouvelle en avait fait le tour :

- Pares que an descuvert un penjat dins l'escala de la comuna.

- Es Jojo que an trovat penjat, aura acabat de nos fa caga !

De tous les cafés, les joueurs de cartes étaient accourus et les mauvais dormeurs avaient été tirés de leur lit par ce tintamarre. La ruelle, derrière la mairie, courte et étroite, était engorgée par cette multitude de curieux venus voir le pendu. Les gendarmes, que l'on avait avertis arrivèrent. Ils eurent du mal à se frayer un chemin dans cette foule qui ne cessait de grossir.

« - Dégagez, dégagez, laissez passer, disaient-ils en jouant des coudes !

Les deux battants de la porte principale avaient été ouverts. On s'écarta pour les laisser entrer. « - Hé bé ! dit le chef en regardant longuement le cadavre pendant, en voilà un qui est tiré d'affaire ! » Vu comme ça, il est vrai que Jojo n'avait plus de soucis à se faire !

Le chef fit ses constatations, mesura, inspecta la qualité de la corde… Le gendarme transcrivait, sur une espèce de carnet noir, ce que disait son supérieur. Après cette longue énumération des faits la décision fut prise de dépendre le malheureux.

Il était difficile de se saisir du corps balançant dans le vide de la cage d'escalier. Après quelques essais infructueux, le chef des gendarmes dit :

« - On va couper la corde, poussez-vous en bas, il risque de tomber !

Tous les "badalucs" qui regardaient la tête en l'air, effrayés par l'éventuelle chute du corps décrivirent d'un mouvement rapide un cercle pour dégager l’endroit où pouvait tomber le corps.

Le chef tira de sa poche son Opinel, plus apte à couper des tranches de saucisson qu’à trancher la corde des pendus, et se mit à caresser la corde avec sa lame.

« - Ne faites pas les cons ! Si vous coupez la corde, je vais me casser la gueule ! »

Le cri emplit la cage d’escalier, semblant venir d’outre-tombe et le corps du pendu se mit à se débattre, gesticulant au bout de sa corde ! ».

Un grand mouvement de recul anima la foule ! Une femme s’évanouit. Tous, blêmes, dévalèrent les escaliers et se précipitèrent à l’extérieur. Dans le mouvement de panique, nul ne s’était aperçu de la supercherie !

Jojo ayant passé la corde sous ses bras se trouvait ainsi soutenu au-dessus du vide et sa mimique avait une fois de plus trompé tout son monde ! Il avait poussé son art de la tromperie jusqu’à répandre sur le sol le reste de son panaché.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ils sont fous ces varilhois de faire des blagues pareilles

fadette

amadeus a dit…

... et les berrichonnes de dire de telles choses! ( message précédent)